Certaines êtres font clinquer la beauté comme une évidence. Au Québec, Joséphine Bacon, dont les mots brefs et justes résonnent en franc parler et en vérité, est sans aucun doute l’une des grandes poètes de notre époque. La pureté, l’authenticité, le naturel fondent les valeurs de cette amérindienne qui donne parole à la langue innue des « aînés » pour transmettre leur mémoire. « Aujourd’hui, je suis quelque part dans la vie. » annonce-t-elle au début du « prologue » de son dernier recueil de poèmes Uiesh / Quelque part (ed.Mémoire d’encrier, 2018). On apprend auprès d’elle la force lumineuse de la simplicité.
Joséphine Bacon : une histoire
Joséphine Bacon naît en 1947 dans la communauté innue de Pessamit (Canada). Petite, elle connaît le sort de la plupart des enfants autochtones de son époque : elle est arrachée à sa famille et est placée dans un pensionnat pour y être éduquée. Mais de cela elle ne veut pas parler, tournant résolument le dos à la douleur. Joséphine Bacon suit sa route et devient interprète auprès des aînés des Premières Nations. Elle apprend en recueillant leurs paroles : « C’est ce qui m’a redonné ma langue, ma culture, tout ce que je n’avais pas eu au pensionnat. J’ai pu tout réapprendre à travers les récits que les vieux me racontaient. »
En 2008, Laure Morali lui propose une correspondance avec le poète José Acquelin qui donne lieu à une publication Aimititau ! / Parlons-nous ! (ed. Mémoire d’encrier, 2008). On découvre alors ses talents de poète. En 2009, elle publie un premier recueil, une œuvre bilingue innu.aimun-français, Bâtons à message / Tshissinuatshitakana. Elle y évoque son peuple nomade, amoureux des grands espaces. Le recueil est récompensé en 2010 par le « Prix des lecteurs du Marché de la poésie de Montréal » pour le poème « Dessine moi l’arbre ». En 2010, elle publie son second recueil Un thé dans la toundra / Nipishapui nete mushuat (ed. Mémoire d’encrier, 2013) et collabore à plusieurs ouvrages collectifs tels que Bonjour voisine (ed. Mémoire d’encrier, 2013) ou Femmes rapaillées (ed. Mémoire d’encrier, 2016).
Femme de Lettres, elle reçoit de nombreuses distinctions, voyage à travers le monde pour témoigner, anime des ateliers d’écriture, enseigne l’innu.aimun, donne des conférences dans des universités et intervient toujours auprès des communautés des Premières Nations. Elle participe aussi à des documentaires dont l’un qui lui est consacré : « Je m’appelle humain » (Voir Article) réalisé en 2020 par Kim O’Bomsawin.
Joséphine Bacon "Dessine moi l'arbre"
Voici comment Joséphine Bacon oeuvre pour la sauvegarde de la mémoire des peuples de Premières Nations, en transmettant par ses œuvres les traditions des aînés de sa communauté, leurs savoirs, leur sagesse…
« Dessine-moi l’arbre que tu es
Dessine-moi la rivière que tu as racontée
Dessine-moi le vent qui t’a fait voyager
Dessine-moi le feu qui brûle en nous.
Dis-moi que je suis ton au-delà,
Dis-moi que tu es mon au-delà,
Toi, l’animal blessé,
Tes ancêtres t’ont conduit à moi
pour me raconter les images
de tes rêves.
Reste un peu dans ma mémoire
Toi, l’homme, l’animal blessé,
Reste un peu dans ma mémoire.
Tes murmures sonnent
La sagesse d’une vie vécue,
Ton regard devine la paix,
Ton cœur bat au rythme
Des battements d’ailes de l’aigle.
Ton sommeil est habité
Par les esprits de ton peuple métis silencieux.
La nuit étoilée
T’emporte dans un monde
Qui te garde vivant. »
Uiesh / Quelque part
(ed. Mémoires d'encrier, 2018)
Mishau aimun ua minitan
Nitshishenniun
Nushitshikueuna
Anutshish apu tshishkapataian
Ninute-nenen
Nishaputueten nipuamunit
Nipeten nipisha
Nitshhishkutamatishun inniun
Nitshisheishkuen nuitsheukun
Apu 100 itaki aimuna manitan
Apu 100 itati-pipuneshian
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J’ai cent mots à te raconter
Mon vieil âge
Mes rides
Je n’ai plus l’alerte des pas
Le souffle court
J’avance dans mon songe
Sans fatigue
Je sais entendre les feuilles
J’apprends le monde
Mon âge vieillit avec moi
Je n’ai pas cent mots
Je n’ai pas cent ans
Devenir Auteur.e - Ressources
Pistes à suivre pour écrire : poésie
→ « C’est en marchant qu’on connaît » : l’itinérance, mode de vie, est aussi pour Joséphine Bacon mode d’écriture. Le déplacement, la marche notamment, sont célébrés par de nombreux auteurs comme sources puissantes d’inspiration.
→ « Mon peuple est rare / Mon peuple est précieux / Comme un poème sans écriture » : Joséphine Bacon dit du « poème sans écriture » qu’il s’agit d’un poème que l’on voit « quand tu regardes la terre c’est déjà un poème, c’est dans le silence parfois qu’on trouve la plus belle poésie ». Elle nous invite ainsi à mettre nos sens en éveil, pour se tenir à l’affût, et saisir la beauté dans notre environnement.
→ Le rêve est central dans la culture amérindienne. Il est aussi une grande source d’inspirations.
Propos recueillis sur : https://www.youtube.com/watch?v=YSbotnXY_Ps