L’auteure Régine Detambel développe la pratique de la bibliocréativité – à distinguer de la bibliothérapie traditionnelle (voir Articles). La bibliocréativité a pour but d’utiliser dans les pratiques de soin des textes littéraires qui « par la médiation d’une lecture, d’une puissance d’imagination et de création, contribuent à améliorer la qualité de la présence au monde du patient ». 

Médecine narrative

La bibliocréativité est issue de la médecine narrative, une pratique de soins qui se développe en Amérique du nord dans les années 1990. Elle vise à mettre le récit du patient et son écoute au coeur du protocole médical, son objectif étant d’établir une relation d’empathie et de confiance entre le soignant et le soigné.

On doit le concept à Rita Charon, professeur de médecine, titulaire d’un doctorat de littérature consacré à Henry James, qui participe au courant de littérature et médecine avant de développer la notion de médecine narrative. Dans son ouvrage Principes et pratique de la médecine narrative (ed. Sipayat, 2020), elle en formalise les principes autour d’un axe : rassembler patients, médecins, soignants, thérapeutes.. pour réinventer des pratiques de soin fondées sur l’interaction soignant/soigné. 

rita charonElle propose de faire le choix d’un système de soins respectueux du patient et de son histoire personnelle. Ainsi, Rita Charon définit la médecine narrative comme «  une médecine exercée avec une compétence narrative permettant de reconnaître, d’absorber, d’interpréter les histoires de maladie, et d’être ému par elles  ».

Rita Charon met donc au service de la médecine des outils d’analyse littéraire. Elle invite les soignants à accueillir le récit du patient dans toutes ses dimensions : le cadre du récit, l’intrigue, les images employées, le sens qui veut être donné… Ils reçoivent alors le récit à la manière de lecteurs actifs car ils participent à la création de l’échange. Cette collaboration permet l’élaboration du récit de soi.

Bibliocréativité : Régine Detambel

Régine Detambel

Régine Detambel fut d’abord kinésithérapeute, ce qui l’a rendue particulièrement attentive aux questions du corps. Elle est aujourd’hui l’auteure de nombreux ouvrages et développe la pratique de la bibliothérapie créative. Chevalière des Arts et des Lettres, elle a reçu différents prix pour son oeuvre littéraire et, en 2011, la Société des Gens de Lettres lui décerne le Grand Prix Magdeleine-Cluzel pour l’ensemble de son œuvre. 

Les livres de Régine Detambel interrogent le corps et sa mémoire. Elle consacre un essai à la bibliothérapie Les livres prennent soin de nous – Pour une bibliothérapie créative (ed. Actes Sud, 2015) dans lequel elle explore les bienfaits thérapeutiques de la lecture et de l’écriture. Elle s’intéresse tout particulièrement à ce qui touche la vieillesse, notamment dans Le Syndrome de Diogène, éloge des vieillesses (Actes Sud, 2008).

Lors de la Conférence « Le soin à voix haute : de la bibliothérapie à la bibliocréativité » – donnée dans le cadre des Assises du corps transformé, en 2019 – elle tient d’abord à distinguer sa pratique de la pratique anglosaxonne. De fait, elle préfère au terme « bibliothérapie » celui de « bibliocréativité » qu’elle définit comme une pratique « de soins par les textes, par leur mise en voix, par l’énergie que ces textes contiennent ». Son engagement dans la bibliocréativité repose sur « la certitude que le corps, la littérature et le soin ont toujours évolué ensemble, convaincue de la fécondité du geste de texte qui relance une personne vers sa créativité – le bien être découlant ici d’une activité désintéressée sans intentionnalité ».

Elle loue la puissance de la lecture qui « répare » en apportant au patient « des aliments symboliques, imaginaires, rythmiques ». Elle définit la maladie comme étant une « effraction du réel dans le corps ». Grâce au symbolique, à l’imaginaire, à la créativité, il est possible d’élaborer cette réalité pour mieux y faire face. 

Bibliocréativité vs Bibliothérapie

Régine Detambel reproche à la bibliothérapie traditionnelle l’usage de la « prescription de titres ». Elle considère que cette démarche est très réductrice car la liste propose les normes d’un autre. Elle se méfie de ce que Frédérix Worms appelle la « norme du miraculé » dans son ouvrage Revivre (ed.Flammarion, 2015) : « Tout récit d’un revivre risque de donner lieu à des recettes pour revivre. Il y a un risque que (…) l’on cherche alors à communiquer des techniques extérieures, non pas comme des exercices, mais comme des modes d’emploi, où il suffirait de suivre le guide, d’exécuter mécaniquement une suite d’opérations. L’effet du récit (…) risquera dès lors d’être ravageur, si le lecteur se sent soumis à des règles qu’il est chargé d’appliquer tant bien que mal à son « cas », confronté à un exemple qui ne se contente pas d’être raconté, mais qui se donne pour un modèle à suivre, le lecteur devant alors se comparer à une norme idéale, et dans certains cas miraculeuse, la norme, si l’on ose dire, du miraculé. »bibliocréativité 1

Par ailleurs, la bibliothérapie traditionnelle prend comme présupposé que l’autre est lecteur alors qu’il est possible que le patient ne soit pas en mesure de lire (parce que son corps est atteint ou parce qu’il n’en a ni le désir ni la force) sans parler du fait que les « listes de livres » ont un aspect scolaire qui peut être rebutant. 


Dans sa pratique d’accompagnement, Régine Detambel n’utilise donc pas de livres – dits de développement personnel. Elle promeut l’utilisation du texte littéraire qui véhicule « l’émotion esthétique comme outil de perception de soi-même » en respectant la liberté d’interprétation, source de créativité.

Bibliocréativité : pratique

Au delà du sens, les textes littéraires par leurs mélodies, leurs associations singulières permettent d’ « accueillir les langages privés et les spécificités d’un lecteur ne pouvant vibrer qu’au contact d’un tissu de métaphores » car « nous sommes des êtres de langage, en touchant au langage on touche à tout l’être d’où l’importance du récit, du récit de soi, de la ranimation d’une personne par une nouvelle manière de parler, de tisser les mots entre eux, de reélaborer les éléments de la vie ». C’est ainsi que Régine Detambel sollicite, en tant que bibliothérapeute, le potentiel de créativité des personnes en faisant vivre les textes de différentes manières : la lecture à haute voix, l’écriture, le toucher aussi (Régine Detambel consacre l’essai Petit Eloge de la peau à l’analogie peau/ papier).Le texte doit permettre à l’être de redevenir acteur, de se subjectiviser, de se réapproprier son réel et son pouvoir de création, donc sa vitalité.
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